Shoes for two

C'est en promenant mon cœur brisé que je rencontre N°3 et N°4, rue René Boulanger, près de la Place de la République à Paris.

N° 4 m'intrigue avec son collant troué. Je veux en savoir plus. J' imagine une soirée interminable, une nuit blanche ...Pas du tout.

N°3 et N° 4 ont 16 ans. " On est jeune, on vit encore chez nos parents".
Elles sont sorties fumer en cachette. Voilà d'où elles viennent. Dimanche studieux en vue. N°3 doit travailler. " Je redouble ma seconde mais je dois avoir des bonnes notes pour ne pas être virée de mon bahut ". N° 4 est en troisième et elle, c'est le brevet qui l'attend. A force de sorties, l'une et l'autre sont bloquées tout l'après-midi. " On sort tellement que nos parents nous forcent à rester à la maison, mais on voulait prendre l'air pour ne pas rester enfermées toute la journée ".
J'apprends qu'elles sont sœurs, mais qu'elles ne se ressemblent pas parce qu'elles sont issues d'une famille décomposée; ou plutôt recomposée. L'une est blonde et l'autre brune, mais elles abordent toutes les deux, des appareils dentaire, témoignage de la jeunesse.
Pour ce qui est des collants ? N°4 m'explique tout simplement qu'elle aime les porter troués .

Le Numéro 2, c'est moi.

Je porte des Basillia. Des chaussures italiennes fabriquées à la fin des années 70's. Je les aime tellement que je les porte tous les jours avec n'importe quoi et j'en ai délaissé mes Repetto. Elles appartiennent à ma maman. Je l'ai vue les porter toute ma jeunesse et attendu que mes pieds grandissent pour enfin avoir la chance de le ressortir. Elles sont une pointure trop grande et j'ai dû mettre des semelles pour ne pas les perdre. Elles m'emmènent partout. Elles ont vu ma première vraie rupture, mon déménagement, mon emménagement, une seconde rupture, mon régime, la Rue Manin, parcouru le 19ème arrondissement, fait du Vélib, ont pris la pluie, ont séché au soleil et se sont craquelées sur le côté et partiront bientôt au Canada.

En ce moment, je vais nulle part et c'est très bien comme ça.

Il pleut depuis plusieurs minutes maintenant. Je suis assise sur un banc en face du Canal Saint Martin. De toute façon, en ce moment, tout commence et se termine sur un banc du Canal.

Numéro1 va Rue Bichat, direction le numéro 56 à la Cantine de Quentin. Il a découvert ce matin qu'en prenant le passage Meslay, il arrivait beaucoup plus vite au Quai de Jemmapes. Ses chaussures ont 4 mois et il les portent tous les jours . Il a rendez -  vous avec son ex-copine pour lui parler de son projet professionnel auquel il voudrait l'associer, et la consoler par la même occasion. Ils s'entendent toujours très bien et le brunch du samedi midi est presque devenu une institution. Elle est en retard, comme d'habitude, ce qui me permet de lui parler.

J'ai de la chance de le croiser parce qu'il déteste les autres. " Je ne supporte plus personne en ce moment, si ce n'est les gens passionnées". Il travaille tellement qu'il n'a plus beaucoup l'occasion de sortir et ses moments libres sont dédiés à la sieste. Après son brunch, il rentrera directement chez lui. " Je travaille à 18H00, et je ne suis toujours pas rasé". Je lui fait remarquer qu'il n'est que 13h55 et je souris. Numéro 1 est chef. " Enfin presque"; Il travaille au Café Moderne et vient juste de changer de poste. Ce soir, le restaurant est complet. On se tait et il me donne une cigarette. Je prends la photo dans un endroit sec et je le remercie.

La rencontre avec Numéro 1 en Paul Smith se termine au 56 rue Bichat -  Paris.